Association pour la Connaissance et la Contemplation des Montagnes
Randonnée du 14 novembre 2008:
Depuis Antras (919 m., Ariège): Le col de la Croix et le col du Mail des Morères (1553 m.)
Départ Antras: 8 heures, température: - 3 °, météo: exceptionnelle
Difficulté: aucune, "promenade familiale une fois l'itinéraire déneigé". C'est bien sûr le contraire qui était recherché, aucune difficulté cependant, hormis l'absence du sentier et le plus souvent de marques, le tout sous la neige. Chien d'avalanche recommandé. L'étonnant animal, qui vit à Antras, s'impose à tous les randonneurs, même sans réservation, il suffit de lancer le bâton devant, et de lui réserver quelque pitance à la pause. Connaissant parfaitement le trajet, il est un gage absolu de sécurité et vous ramènera au point de départ. Plus montagnard que les montagnards, il adore la montagne par tout temps, étonnant animal auquel il convenait de rendre hommage, nous lui avons promis de revenir ...
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C'est
par une belle nuit de Noël, sous le sapin, près de la cheminée, que Buck vit le
jour, là haut, dans ce joli village de montagne tout enneigé, Antras.
Ici,
les maisons, toutes faites de la dure pierre grise prise au flanc de la
montagne se resserrent les unes contre les autres, dans l'ancestrale lutte
contre la froidure des longs hivers.
Sans
être nobles, les origines de Buck avaient pourtant beaucoup à voir avec le
passage de ces touristes turbulents, venus du nord, et qui avaient emmené avec
eux le plus grand, le plus fort, et le plus beau de tous les chiens de traîneau
qu'on aie jamais vu ici : cette bête de pure race, au port altier et de
haute éducation, faisait l'admiration de la gent canine femelle de toute la
région.
Certaines,
renseignées, accouraient même des villages voisins, brisant chaînes et colliers
pour une seule œillade au plus beau de tous, parmi ceux qu'il était donné de
voir ici, de toute une vie de chienne.
Alors,
cet aspect des choses alluma un tel incendie de haine jalouse auprès des chiens
du village, que même les ennemis d'hier se concertaient aujourd'hui pour des
représailles communes. Mais les plus organisés des assauts de cette armée se
soldaient par de cuisantes défaites : l'ennemi, pourtant solitaire, était
de force sur-canine : on ne savait plus que faire.
Et
c'est par cette belle nuit d'été que la mère de Buck avait eu le don de plaire
au bel étranger, dans une étreinte qui avait duré jusqu'au petit matin, et qui
l'avait laissée défaite. Dès l'aube, les touristes et le bel animal s'en
retournaient déjà, et la paix revint au village ; il ne restait qu'à
panser les blessures...
A
peine né, Buck donnait déjà les plus vifs des soucis à sa mère. Turbulent et
vigoureux, ce petit bout de chien de rien du tout, si elle n'y prenait garde,
s'engouffrait par la moindre ouverture de la grange pour aller se rouler avec
délices dans la neige, en plein vent, et au mépris de sa santé. Pire, il
fallait le nourrir comme quatre, et la mamelle maternelle suffisait tout juste
; la pauvre dépérissait.
Fort
heureusement, Buck fut vite sevré, et ce fut un soulagement pour elle de le
voir dévorer les restes de la maisonnée, de ses crocs déjà forts.
Le
petit Buck, vite grandi, semblait tenir des dispositions exceptionnelles de son
père, et de la gentillesse affable de sa mère. Alors, sans relâche, il courait
par tous les sentiers de ces montagnes, gravissant les sommets, dévorant au
passage quelque malchanceux lapin, se désaltérant au torrent, ou de la neige
des hivers.
Mais
bientôt, il vit venir, sur les territoires qu'il avait fait siens, des humains
plutôt bien disposés envers lui - étant entendu qu'il ne les mordait point.
Ceux-ci, tout comme lui, gravissaient les montagnes pour le simple plaisir - on
ne pouvait que bien s'entendre.
Initié
par ailleurs au jeu du bâton par les chenapans du village, il éleva vite cette
discipline au rang d'art véritable grâce à ces gens là, qui se montraient fort
coopératifs. Car comment progresser dans ce joyeux sport, autrement qu'avec une
équipe d'entraîneurs capable de vous renvoyer le bâton des journées durant ?
Ceux du village s'en moquaient bien, eux, ils vous le relançaient deux ou trois
fois, on ne risquait pas la crampe.
Et
d'ailleurs, ils offraient toute leur affection à ces stupides bêtes à cornes,
auxquelles ils volaient même le lait nourricier sans vergogne ! ... Quand ils
n'allaient pas nourrir et flatter ces arrogants chevaux encore, des animaux
sans éducation, qui parsemaient de leurs déjections repoussantes les plus beaux
sentiers de ces montagnes.
Aussi
Buck ne se gênait pas, au détour du chemin, pour planter quelque croc dans le
jarret de ces présomptueux ... et alors, il se tapait fort sur le ventre, caché
sous quelque genévrier, à les voir punir les mouches à grandes ruades !
Mais
un beau jour, il vit arriver une équipe qui semblait plus expérimentée que les
autres à ce jeu là. Pourtant, ils n'étaient pas du pays : même s'il ne savait
pas encore lire, il avait bien remarqué, en urinant sur la roue arrière de leur
auto, qu'il y avait écrit là, bien différent du 09, un 31, même un chien
ignorant ne s'y serait trompé. Et, au lieu de punir d'une belle morsure
l'étranger de la ville qui avait osé - comme beaucoup le faisaient ici - il
déposa simplement un bâton sélectionné (du hêtre, c'est mieux...) aux pieds de
l'un d'eux, qui le lança très loin, derrière le potager du père Anselme.
Alors,
rapide comme l'éclair, empruntant les chemins et épargnant le légume, Buck
rapporta. On relançait déjà ! Ceux-là avaient compris tout de suite - des
cerveaux sans doute !
Mais
voilà qu'ils se chaussaient, s'habillaient, endossaient un sac, empruntaient
son sentier à lui, celui du col des Morères, il avait affaire à des
connaisseurs !
Buck
les précédait, bondissait de joie, sautait talus et fossés, heureux de guider
les visiteurs sur son parcours favori, on allait bien s'amuser ensemble, et la
journée s'annonçait belle ...
De
prime abord, usant de psychologie humaine, il se montra peu insistant, puis,
insidieusement, il déposa le bâton aux pieds de celui qui semblait être leur
chef, puisqu'il marchait devant. D'un magistral coup de pied (ce garçon devait
être un sacré sportif...) celui-ci expédia le bâton jusqu'au ravin, au fond
duquel, prompt comme la pensée, Buck avait déjà bondi, soulevant un torrent de
feuilles, de branches sèches et de pierres à sa suite. En moins de deux, le
bâton était redéposé, et repartait derechef.
Buck
était inondé de bonheur, il avait enfin trouvé des humains compréhensifs,
compétents, intelligents peut-être : les entraîneurs rêvés pour ce jeu
tellement enivrant ...
Alors,
les montagnes ne furent plus que galopade effrénée, avalanche de feuillage,
bris de branches, roulement de cailloux, glissades dans la neige !
Rendus
au col de la Croix, ivre de bonheur, Buck se roula dans cette merveilleuse
poudre blanche tombée de la nuit, et tellement rafraîchissante ; il
éclaboussait alentour, en mangeait même, dans de discrets gémissements de
bien-être.
-
Les humains, eux, ne connaissent rien à la neige : ils ne s'y vautrent pas, et
la touchent seulement du bout de leur bâton, d'un air dédaigneux, un peu comme
ces imbéciles de chats devant une flaque...
Et
la partie continua, sans cesser, dans la grande hêtraie, sur les flaques
gelées, sur la roche grise, enfin dans la neige profonde où Buck, infatigable,
s'enfonçait jusqu'au ventre ; puis on fit une halte au col des Morères.
Buck
connaissait les évènements d’avance car lui, il savait lire l'heure donnée par
le soleil, nul besoin de montre pour ça, midi passé, les humains finiraient par
se restaurer, et qui sait si, dans ce qui allait sortir des sacs, il n'y aurait
pas quelque morceau pour lui ...
Buck
s'allongea de tout son long dans la poudreuse qui, sous ce beau soleil de novembre,
était un délice. Il savait qu'on n'obtenait rien en se montrant empressé, il
joua d'abord les ventre-plein, tout en s'approchant insensiblement de la
nourriture brandie ... dont il finit par tomber quelque surplus dans la neige,
qu'il engloutissait sans délai. Il ne s'était pas trompé en les suivant, ces
gens là avaient de l'éducation.
Mais,
de ravins en vallées, de monts en ruisseaux, de bois en pâturages, ce qui était
écrit arriva : on finit par retrouver la voiture. Et après quelques caresses assorties de
promesses de retour (les humains ...), Buck dut bien retourner au bercail, tout
en haut du village, la queue bien basse et le regard attristé.
Mais
il se remémorait déjà cette journée inespérée, qui lui avait fait si chaud au
cœur, à l'approche de cet hiver qui déjà blanchissait d’un épais manteau
l’immense terrain de ses ébats joyeux.
JCP
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Photo: Michel, son blog:
http://unmondedimage.canalblog.com/
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Dernières granges d'Antras
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Antras
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Col de la Croix
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Depuis le pic de Tourmas (1292 m.)
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Mail de Laroque (1397 m.)
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Buck ne craint pas le froid...
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Cabane de Coulédoux
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Buck, chien d'Ariège - chien de neige
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Grillage d'estive en hiver ...
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Col du Mail des Morères (1553 m.)
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Limite isotherme bien marquée
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St. Lizier (Ariège)
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JCP